Reines & Héroïnes d'Afrique
RHA-MAGAZINE : la Femme Noire est l'Histoire
Les Amazones du Dahomey
Une armée de 4000 femmes au service d'un peuple
Au 19ème siècle, il s’est produit des évènements extraordinaires sur ce territoire que l'on connaissait sous le nom de "Dahomey", et qui depuis 1975 porte le nom de Bénin (pays d'Afrique de l'Ouest situé entre le Togo et le Nigéria).
C'est au 15ème siècle que les Portugais exploreront le territoire pour la première fois et le Dahomey deviendra petit à petit célèbre pour sa traite négrière, surtout entre le 17ème et le 18ème siècle. Il sera d'ailleurs renommé « Côte des Esclaves ».
Alors que les Britanniques et les Français se battent pour contrôler la Boucle du Niger, les Français parviendront progressivement à imposer leur domination au Dahomey. Au départ il s’agit d’un traité d’ « amitié et de commerce » signé en 1851, mais en 1861, les missionnaires français obtiennent une autorisation pour venir s’y installer. En 1864 les Français obtiennent le protectorat de la ville de Cotonou et du Royaume de Porto-Novo.
En 1892, la France se décide à attaquer le Dahomey en évoquant des prétextes tels que le cannibalisme, les sacrifices humains ou la polygamie pratiqués par la population autochtone. Il s’agit pour la France en réalité d’agrandir sa domination en Afrique Equatoriale Française (AEF) et d’atteindre également les possessions britanniques qui dominent le Nigéria. C'est le Colonel Dodds qui est à la tête de cette armée qui s’apprête à attaquer le Dahomey. Elle est composée de plus de 3000 hommes qui partent de la côte de Cotonou et se dirigent vers Abomey, capitale du pays. Leur cible: le Roi Béhanzin qui dirige le Royaume du Dahomey.
Les populations locales, qui doivent faire face à une armée inattendue, vont se montrer récalcitrantes. Même si leurs moyens sont très rudimentaires comparés à ceux des Français, ils résisteront durant presque deux années.
Toutefois, la date du 26 octobre 1892 restera à jamais marquée dans la tête du Colonnel Dodds. Il s'agira pour lui, selon ses propres dires, de "la journée la plus meurtrière de cette guerre".
En effet, alors qu’ils sont à peine à 50 kilomètres d’Abomey, les soldats français sont confrontés à un phénomène étrange et auquel ils n'ont jusque là encore jamais assisté: devant eux, une armée immense leur bloque le passage. Et cette armée féroce et armée jusqu'aux dents n'est composée que... de femmes !
Dodds sera rapidement informé : ce sont les « Amazones » du Roi Béhanzin, des femmes guerrières connues pour se battre avec violence et énergie. Elles n’ont absolument pas peur de la mort, et tuer ne leur fait pas froid aux yeux. En général, elles combattent au devant de l’armée car elles sont sans pitié face à leurs ennemis et très résistantes au combat. Dodds avait lui même entendu parler de SEH-DONG-HONG-BEH, femme guerrière au courage inégalable qui avait dirigé une armée de 6000 Amazones vers 1852. Pour Dodds, il y a de quoi s’inquiéter. Il faut réfléchir à la manière de combattre ces femmes aux regards terrifiants, et qui signifient qu'elles n'ont rien à perdre!
Les Amazones du Dahomey sont sélectionnées avec précaution dès l’adolescence, et durant toute leur vie et elles sont exercées au combat selon un entraînement quotidien très pénible.
Elles apprennent à manier les armes avec dextérité et sont conditionnées aussi bien psychologiquement que "religieusement" à l’obéissance et à la vénération du Roi. Elles sont vierges et, condamnées au célibat, doivent éliminer toute possibilité de fonder une famille.
Parmi leurs armes de combat, il y a notamment des amulettes destinées à leur protection contre les mauvais esprits et contre leurs ennemis.
Mais d'où leur viennent donc ces armes?
En 1890, le Roi Behanzin aurait négocié avec les Allemands en tronquant 400 esclaves contre 26.000 fusils, 6 canons, 4 mitrailleuses et des munitions.
L’organisation de l’armée des Amazones du Dahomey:
Elle est répartie en 5 spécialités dont 3 infanteries
- les fusilières que l’on appelle « les Gulonento »; elles portent une cartouchière à compartiments. Leur poudre est soigneusement conservée dans des feuilles de bananiers.
- les archères ou « les Gohento » (on en trouvait de moins à moins après l’existence des armes à feu); elles restent néanmoins présentes et servent d’auxiliaires et de « porteuses » pendant les combats.
- les faucheuses appelées « les Nyekplohento » armées d’une énorme lame de 45 cm au bout d’un manche de 60 cm
- les artilleuses
- et l’Elite, les chasseresses qui sont sélectionnées pour leur force physique et leur stature. Elles sont très respectées. Normalement, elles ne participent que rarement au combat et seulement quand celui-ci place le Roi Béhanzin lui-même en danger, ainsi que la nation. Vous comprendrez donc que contre les Français, la présence de cette dernière catégorie de combattante soit de rigueur.
Dans un cas de force majeure comme celui-ci, les Amazones utilisent la technique dans laquelle elles excellent: celle du corps à corps.
Ainsi, tandis que les Français instaurent une certaine distance, elles cherchent à trouver le moyen de créer un affrontement physique. Elles vont pratiquer le « roulé-boulé » pour s’infiltrer en dessous des haies des baïonnettes des soldats français pour les piéger physiquement.
Désemparés face au courage des Amazones, car elles n’hésitent pas à brandir des têtes sauvagement décapitées pour affaiblir psychologiquement leurs adversaires, les Français n'ont d'autres choix que de les combattre techniquement et surtout "mécaniquement". En outre, ils constatent que lorsqu'elles parviennent à les confronter physiquement, elles font preuve d'une force physique inégalable et viennent rapidement à bout des soldats à mains nues. L'efficacité de cette armée de femmes à peine équipée avait donc vraisemblablement été sous-estimée par les soldats du Colonel Dodds.
Cependant, et malgré une résistance farouche, les Amazones ne pourront tenir face aux Français qui utilisent des équipements visiblement très sophistiqués. Elles périssent de plus en plus. Alors qu’elles étaient au nombre de 1200, elles ne sont plus qu’une centaine à combattre l'armée française, elle aussi, visiblement réduite . Elles n’ont plus l’espoir de s'en sortir vivantes, mais elles ne peuvent lâcher prise, elles ont été formées pour combattre jusqu'à la mort. Certaines manifestent leur colère et leur haine vis à vis des soldats en se coupant un sein et en frappant violemment à mort ceux qu’elles peuvent attraper.
Au final, en novembre 1892, lorsque les Français atteignent la capitale, ils ne doivent combattre qu' une cinquantaine d'Amazones. C’est ainsi que le Royaume du Dahomey va connaître sa chute et à fortiori, la fin du corps d’armée des Amazones.
Le Roi Béhanzin fuira à l’intérieur du pays où il continuera à lutter contre l'armée française jusqu’en 1894. Il finira par se rendre et sera déporté en Martinique, puis en Algérie où il s’éteindra. La victoire sera certes aux mains des Français, mais la question reste celle savoir si l'armée française aurait gagné face aux Amazones si elle n'était pas aussi bien armée.
En effet, tout soldat désarmé qui avait le malheur de tomber entre les mains d'une Amazone avait peu de chance de s'en sortir. Et d'ailleurs, plusieurs des soldats français qui eurent à lutter contre les Amazones raconteront, pendant longtemps, et longtemps encore, l'habilité, le courage et la force de ces femmes noires prêtes à perdre la vie pour sauver leur royaume.
Leur dévotion nous rappellerait presque ce leitmotiv qui s'accorderait parfaitement aux cris de guerre des Amazones mais qui résonnera bien des décennies plus tard : la patrie ou la mort!
Natou Pedro-Sakombi
Le Roi Behanzin entouré de sa famille durant son exile en Martinique